La composition de notre foyer va changer aujourd’hui avec l’entrée en EHPAD de ma maman, et je profite de ce fait divers de notre vie pour vous parler de sa démence.
Nous avons appris sa maladie ensemble, au tout début de notre changement de vie qui impliquait un changement radical pour ma mère également : elle quittait sa ville natale – Berlin – pour nous suivre en Dordogne. Au cours de ce déménagement et sa longue préparation, Christophe et moi avons bien compris que quelque chose « clochait », mais il en a fallu du temps, quelques visites médicales et un scanner pour mettre un terme à « tout ça ». Ma maman a des « zones blanches » dans son cerveau ; elle oublie des choses et des mots, elle perd tout sens logique et sa pudeur, elle fait des choses étranges ou… plus rien car elle a perdu ses centres d’intérêt d’antan et ses loisirs et reste assise sur son canapé, allongée sur un transat ou couchée dans son lit une bonne partie de la journée.
Je pourrais vous parler de sa vie d'avant, de son alcoolisme en tant que jeune adulte, de ses dépressions à répétition. Je pourrais vous raconter qu’on ne s’est jamais très bien entendu elle et moi, mais qu’elle est ma seule famille « de sang » et que je suis son seul lien vers un passé qu’elle oublie tous les jours un peu plus.
Je pourrais vous énumérer le nombre de fois où elle a voulu retourner à Berlin (à pieds !) et vous conter sa réaction (et la mienne) quand les gendarmes de Lalinde nous l'ont ramenée à la maison après plus de trois heures de recherche en plein confinement. Je pourrais vous expliquer pour quelle raison nous nous sommes retrouvées elle et moi aux urgences de l’hôpital de Bergerac, pourquoi je dois lancer au moins une machine à laver par jour rien que pour elle, ou vous détailler toute la charge administrative que me procure la dépendance de ma mère en plus de tout le reste.
Mais à quelques heures de ce nouveau changement radical qui nous attend, je préfère insuffler une note d’humour à cette histoire en partageant avec vous les meilleures anecdotes de Verena :
A nos tout débuts ici, nous avions pour habitude de nous promener avec la chienne de ma maman jusqu’à notre boîte à lettres, et nous étions souvent accompagnées par la chienne de nos voisins, Polka, qui nous attendait au bout du chemin dans le but de jouer avec notre vieille Jette. Un jour et sans raison apparente, Polka n'est pas au rendez-vous, et c’est ma mère qui m’en parle en premier. « Tiens donc » me dit-elle, « Tango n’est pas là aujourd’hui ?! »
Une fois par semaine, souvent le dimanche, ma mère vient manger « chez nous ». Il s’agit là d’une véritable invitation pour un repas familial dont nous avons sans doute plus besoin qu’elle, un besoin accentué pendant les confinements. Mais elle est contente de venir elle aussi ; il faut lui parler de notre « rendez-vous » plusieurs fois par jour pour qu’elle s’en rappelle mais elle est là, souvent avec 15 minutes d’avance, pour passer un bon moment avec sa fille et son gendre.
Chez nous, pas de repas sans apéro, et qui dit « apéro » dit « chips », un met dont ma mère n’a pas forcément l’habitude. Alors elle pioche dans le bol, une fois, deux fois,… au bout de la troisième fois, elle me demande si on a décidé de l’engraisser. Et lorsque je lui tend les chips une quatrième fois, elle rigole : « Hé ho, doucement ! Je ne suis tout de même pas venue ici pour dîner ! »
J’avais pour projet d’aller acheter des kiwis à la ferme bio du village, mais je n’avais pas fait attention au jour et me retrouve face à la porte fermée. Je ne suis pas la meilleure conductrice du monde 😎, et notamment la marche arrière me pose problème ; pourtant c'est justement la manœuvre qu’il faut faire alors. Le stress que j’émets dans ce genre de situation a dû se transmettre à ma mère, assise sur le siège passager, qui est toute excitée à l’arrivée d’une deuxième voiture qui veut également sortir de la cour. Légèrement paniquée, elle me fait comprendre qu’il faut se dépêcher pour libérer la voie. Mais c’est en analysant la plaque d’immatriculation du véhicule d’en face qu’elle me tue : « Oh mon dieu » me lance-t-elle, « en plus de ça, c’est un Français ! »
Je crains que ces trois histoires ne se dérouleraient plus de la même façon aujourd’hui ; ma mère manque de vocabulaire (et oui, même en allemand !), de logique et de capacité d’analyse. Mais elle nous surprend toujours par moment, et ces moments, je les ai immortalisés en photos :
C'est tout ça que j'aimerais garder en tête, et oublier à mon tour tous les mauvais moments passés ensemble depuis notre arrivée à Perrot. J'aimerais qu'elle écrive de nouvelles histoires drôles dans son nouvel environnement. J'aimerais qu'elle arrive à se faire de nouveaux copains malgré cette fameuse barrière de la langue dont tout le monde me parle alors que non, ce n'est plus la langue qui est importante dans sa vie et dans son monde. J'aimerais qu'elle aille bien… pour que j'aille bien. Et j'espère sincèrement qu'on a fait le(s) bon(s) choix.
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